samedi 8 mai 2010

Le jardinage et moi

Le souvenir le plus loin que j’en ai remonte à mes plus jeunes années en Gaspésie. Nous avions un champ de patates près de la maison. Je me souviens d’une terre ingrate, où lorsque Maman nous y traînait de force, je hurlais intérieurement de rage. À 7-8 ans, on veut juste aller jouer dehors avec les copains. Pas jouer dans la bouette. Enfin, faux. Pas cette bouette-là.

- Elles sont où les maudites patates!!

- Tire dessus! Tire le plant au complet!

Je tire sur le plant. « Alléluia » !! Il y avait des patates, des grappes de patates! Des patates, ça pousse sous terre… Je me revois en train de tirer, d’analyser ce que je constatais, de m’asseoir et de m’extasier sur ma découverte. De fouiller la terre à pleine main, à la recherche d’une patate perdue. Je me souviens comme si c’était hier; c’était magique.

C’est mon seul et unique souvenir d’un simili-potager.

Par contre, notre attachement pour le jardinage ne se résume pas seulement aux patates.

À l'époque, à chaque année, le printemps était le symbole annonciateur de virées dans les champs alentour et dans les bois du comté.

Maman, la Voisine et toute la marmaille, nous partions à différents moments durant les saisons douces à la cueillette de ce que la Terre avait à nous offrir. « Grayés » de chaudières, de pots de margarine, nous chantions des comptines « plates » à mourir. Mais ça, c’était juste le bout affreux; je ne suis pas de type « chants-enthousiastes-motivation-100% ».

Si le iPod avait existé à l’époque, jamais je n’aurais chiâlé. Je n’aurais pas « sacré » non plus pour la 1ère fois de ma vie dans le champs de bleuets, et Maman ne m’aurait pas claqué le gras du bras non plus. Mais bon. Je m’en suis remise et j’ai bien comprise la leçon : on sacre juste à partir de ses 18 ans et on cueille. On cueille… on cueille.

Les fraises des champs

Les classes à peine terminées, que nos aventures débutaient. Ça commençait par les petites fraises des champs. Avez-vous déjà vu des petites fraises des champs? Avez-vous déjà goûté à des petites fraises des champs… C’est le bonheur à l’état pur. La création divine; sublime. Par « che-nous », ces minuscules fruits poussaient dans les champs de vache. La merde, ça fait des miracles.

Que de fous rires nous avons eu, lorsque l’un de nous, par mégarde, prenait appui sur un énorme galet pour se relever. Ce que l’on peut prendre pour de belles grosses pierres plates dans les champs, sont en fait des bouses de vache… séchées en surface seulement. « Oh ! J’ai trouvé une belle roche pour m’asseoir dessus ! » Trop tard… Les vaches, elles sont trop fortes!

On remplissait des chaudières et des chaudières de fraises. Assis en indien, la bouche pleine, le soleil brûlant notre peau (la crème solaire n’existait pas à l’époque), l’odeur de la terre, les grillons, les symphonies des oiseaux, des bestioles, des vaches, les brises… À chaque fois, j’ai voulu que le temps s’arrête.

Les framboises

Pour les framboises, c’était une bataille perdue d’avance contre les maringouins. L’envie de perdre connaissance. Dans ma tête, je fuyais et je me jetais à l’eau. Je me racontais des histoires rocambolesques pour passer le temps. Pour ne pas entendre les insectes qui nous tournaient autour, nous chantions… Encore.

Les pommes sures

Les petites pommes vertes. Si acidulées, que nous avions même créé un tournoi! Celui qui réussissait à ne pas crisper les muscles du visage en mordant dans une pomme, pouvait grimper dans l’arbre le premier ! Un arbre immense! De belles grosses branches solides, emplies de fruits. Un seul pommier parmi des milliers d’ormes et de bouleaux. Comment a-t-on pu le trouver dans ce bois? Aucune idée. Mais de la bonne gelée de pomme sur nos toasts, on a adorés.

Les bleuets

J’éprouvais un sentiment d’amour-haine pour ces fruits. Non, pour la cueillette en fait. Comme je l’ai dit, c’est là que j’ai ramassé ma 1ère claque. Dans un champ de bleuets.

Un champ de bleuets sauvages, c’est comme un champ de barbelés. Pas un plant par-ci, par-là. Non, nous on avait le « spot » de bleuets. Un endroit unique, tellement secret que son emplacement est transmis aux générations suivantes par testament ! Un immense terrain de barbelés.

Les plants sont enchevêtrés les uns sur les autres. Pas d’espace pour marcher. Nous passions notre temps en équilibre sur un pied en scannant le sol pour y mettre l’autre pied. Alors, autant imaginer un miracle si on réussissait à y poser nos deux fesses. Des égratignures partout! Sur les chevilles, les mollets, les mains, les poignets, les fesses… J’y repense et là, j’ai envie de sacrer!! Maman? Tu veux bien dire c’était quoi ton secret pour garder le sourire dans le champ de bleuets?

La seule consolation, c’était le bruit des vagues qui se fracassaient sur les rochers. Au pied du cap. Le champ de bleuets étant à son sommet. Le vent fougueux, le soleil et la luminosité, les cheveux au vent. Dans ce champ-là, je me suis toujours sentie très petite. Je grimpais sur la grosse clôture blanche et j’observais l’horizon. J’espérais voir venir Christophe-Colomb avec son gros bateau. Je souhaitais lui envoyer la main.

Les noisettes

Ça s’était le summum! Notre business. À nous les jeunes. Les adultes ayant compris que nous étions prêts à tout pour gagner un peu d’argent, « mononc » nous disait : « Hé le jeune, veux-tu t’faire un 2$ pour ta chaudière de noisettes? » Pas fou l’oncle.

Au péril de nos vies, de nos mains, nous allions joyeusement en groupe faire la tournée des bosquets de noisettes. Avez-vous déjà vu des noisettes sauvages? À peine mûre, la coquille est emballée dans un pelure verte, épaisse et surtout très piquante! Sans gants, nous surmontions nos souffrances en nous imaginant ce que nous pourrions nous offrir avec notre 0,25 $, une fortune! Bien entendu, il s’agit d’un 2$ partagé équitablement entre tous les participants. Heu… Non, on ne connaissait pas ça le cheap labour dans le temps.

À la fin de l’été, nous étions amochés, brûlés par le soleil, mais ô combien heureux!! Je n’ai jamais mangé d’aussi bonnes rôties qu’à cette époque!

En ville

Depuis plus de vingt ans, nous habitons en « Ville ». Citadins, nous sommes devenus. Après quelques années d’aventure urbaines, l’appel a eu lieu. Un retour aux sources. Mais comme en ville, il n’y a ni pommiers, ni de bleuets sauvages et encore moins de petites fraises des champs, c’est la Ville de Montréal, qui m’a appelé. On m’offrait un lot dans un jardin communautaire. Comme la vie est bien faite.

Ça a commencé en 1998. Maman dans son jardinet, et moi dans le mien. Mes deux bébés, assoupis dans leur carrosse, en couche, à profiter de la petite brise chaude, à l’ombre du seul arbre dans le jardin. Cet arbre est devenu mon arbre. Mon jardin est devenu mon champ.

Dans mon jardin, j’ai rencontré des gens d’une extrême gentillesse. Un jardin communautaire, signifie l’entraide, le partage des connaissances, le labeur, l’effort physique et le resourcement intérieur. La santé. Le don se soi. Envers sa terre, envers soi, envers les autres.

Mes souvenirs d’enfance sont les miens. Ceux de Sophie et de Laura se sont créés au fil des années dans le jardin. Elles ont appris à marcher au jardin. Elles ont dormi au son du vent. Elles ont grandi les mains dans la terre. Dans le jardin, elles disent bonjour aux gens. Elles savent que si elles se salissent, ce n’est pas grave. Que les ongles, ça se nettoient. Elles savent poser un tuteur. Elles goûtent aux herbes. Elles arrosent par deux fois les tomates. Elles ont les cheveux verts ou rouges ou un iPod dans les oreilles, mais elles ont aussi un arrosoir ou un sarcloir dans les mains. « Hey mom ! Tu vas au jardin ce soir? J’y vais avec toi ! »

Je n’entends peut-être plus la mer, remplacé par les voitures en arrière-fonds, mais j’entends quand même le soleil. Les insectes. Le vent. J’entends le bruissement des feuilles. Le raclement de la terre. J’entends le bourdonnement des grillons les chaudes journées d’été. J’entends les murmures et les rires des autres jardiniers. J’entends beaucoup de choses. Et je sais que les filles aussi, les entendent. Depuis longtemps.

Et tout ça, ça n'a pas de prix.



* Photo prise en 2007. Laura.

Charlotte

5 commentaires:

  1. En effet avoir un jardin à soi c'est wow :-)
    Quand je suis arrivée de la ville, et que j'ai vu qu'il y avait déjà un début de jardin j,ai demandé pour pouvoir l'agrandir afin d'avoir mon spot à moi :-)
    J'ai fait mes semis, acheté mes tomates en micro-mottes (ça revient à 49¢) et je les aient transplanter et je les gâtent en attendant que la chaleur soit là suffisamment pour leur périple dehors ;-) La soeur de ma voisine s'est trouvé une place au jardin communautaire donc j,aurai plus grand cet été :-) Alors je vais retenter certaines expériences ;-) J'ai mangé MES carottes jusqu'en février ;-) Quel bonheur de récolter ce pour quoi on a travaillé :-D

    Saphir 019 alias Isabelle

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  2. Billet MAGIQUE!!!!!
    Je sens cet appel en moi ... (ainsi que l'appel de ma lointaine contrée gaspésienne également, mais ca c'est une autre histoire ;o))

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  3. Merci pour le voyage de la Gaspésie à Montréal!

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  4. Salut Isabelle!

    Moi aussi, j'ai mangé de mes carottes et betteraves jusqu'à tout récemment. Quel délice! Je suis à préparer mon plan pour la prochaine saison de jardinage. Benny a déjà préparé tous les semis, ce sera notre 1ère année de réelles économies!

    Salut La Mère Michèle et Manon!

    Ça fait du bien hein? Ce petit retour en arrière. Des souvenirs qui remontent à la surface, qui ont eu plus d'impacts que l'on pouvait s'imaginer.

    Ça m'a fait du bien de me remémorer tous ces souvenirs... ;-)

    Charlotte

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  5. Salut!
    Je n'ai pas de lot dans le jardin communautaire de mon quartier, mais je fais quand même pousser un plant de tomates chaque année sur mon petit balcon au 3e étage. Tous mes amis en profitent quand ils viennent à la maison! Cette année, mon grand-père m'a envoyé les graines de son jardin pour faire pousser des petits pois. C'est ma première expérience et j'ai hâte de voir si je vais manger des pois cet été!

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